UNE SEMAINE CHEZ KADHAFI
Invité à Tripoli pendant une semaine par le régime de Mouammar Kadhafi aux grandes heures de l’insurrection libyenne.
Invité, c’est à dire accueilli à l’aéroport, logé dans un palace étoilé de la capitale (avec TV, WI-FI mais pas Facebook), nourri à sa table opulente, véhiculé dans un autobus protégé, gratifié d’un téléphone portable à portée illimitée (mais toujours sur écoute) et informé (ou désinformé) par les soins d’un service de presse aux ordres du leader libyen.
Drôle de situation à laquelle je suis confronté avec un groupe de journalistes de la presse internationale. A la fois heureux et stupéfait de l’opportunité de sillonner la capitale libyenne et soucieux d’échapper à nos hôtes. Pour capter le clandestin, l’inattendu, l’incontrôlable, ce qu’aucun service de presse aussi minutieux soit-il, ne pourra jamais maitriser.
27 février - 6 mars 2011
Relativement calme, comparé au reste du pays, Tripoli reste le bastion de Mouamar Kafhafi qui maintient une terreur policée.
Kadhafi arrive au 34 congrès général du peuple libyen. Un monologue de plus de deux heures durant lequel il promet plus de liberté de parole, une amnistie pour la rébellion et une nouvelle constitution.
Salué par sa propre effigie qui orne les murs de la capitale, le colonel regagne Bab al-Aziziya, son campement hautement sécurisé.
Kadhafi achète sa tranquillité. Chaque citoyen libyen reçoit aujourd'hui exceptionnellement 500 dinars(l'équivalent d'un SMIC) et du crédit sur son téléphone portable. Le prix du carburant a aussi baissé...
Vacarme dans les rues de Tripoli et embouteillage sur la place Verte. La télévision libyenne, ainsi que des hauts parleurs, annoncent la défaite des insurgés et la reprise des villes de l'est du pays.
L'information est bien évidement fausse, la propagande tourne à plein régime. Mais tous les libyens sont quand même incités à manifester leur allégresse.
Malgré la peur, de nombreuses personnes m'abordent pour me confier leur haine du colonel et leur espoir d’un changement.
"Dieu, Kadhafi, la Libye et rien d'autre!..." C'est bon, j'ai compris pourquoi les autorités libyennes m'ont accordé un visa d'entrée.
A partir de maintenant, tous les moyens sont bons pour échapper au contrôle de mes hôtes.
Je me faufile avec un groupe de civils favorables au régime.
Ils m'entrainent dans le quartier de Tadjoura, pour donner la chasse aux manifestants hostiles au régime.
C'est vendredi, un millier de personnes tentent de se rassembler pour manifester à la sortie du lieu culte.
Très rapidement, les manifestants sont dispersés. Je dois vite retrouver mes hôtes pour qu'ils ne s'aperçoivent pas de mon absence.
Le Monument dédié au Livre Vert de Kadhafi est toujours debout, posé sur les livres "périmés" que sont le livre rouge du communisme et le livre bleu du capitalisme. Mais chancelant, car sorti de son socle par des contestataires.
La contestation monte pourtant toujours dans certains quartiers.
Les rassemblements sont réprimés avec de plus en plus de violence.
Aujourd'hui, on enterre Abdul Fattah, un jeune homme tué lors de la manifestation de la veille.
Pour quitter le pays, nous sommes emmenés sous bonne escorte à la frontière tunisienne. Notre bus est obligé de contourner la ville de Zawiyah qui est tenue par l'insurrection.
Poste frontière de Ras Jdir. Les derniers travailleurs étrangers quittent le pays.