Le 9 novembre 2020 au soir, Johanes est monté sur les hauteurs proches de Humera pour en admirer la vue. Au Nord de l’Ethiopie, sa ville resplendit. Il fait bon. L’étudiant en dernière année d’ingénierie textile, rejoint ses amis et s’allume un joint. Tranquille.
Soudain, un missile traverse le ciel et explose sur Humera. « J’hallucine. » Johanes décampe pour retrouver sa famille, d’autres explosions résonnent. Les lignes téléphoniques sont coupées, il ne comprend rien. Sa mère et ses soeurs ont disparu. Johanes tombe sur son père, hagard. Les deux s’enfuient avec le flot des déplacés, vers la frontière soudanaise.
Il ne m’a pas confié son histoire d’une traite. J’ai assemblé le puzzle de sa vie entre deux interviews et trois traductions. Johanes, anglophone, est devenu mon traducteur lorsque je suis arrivé au Soudan voisin, à Hamdayet. Je tenais à raconter l’histoire de ces réfugiés éthiopiens d’ethnie tigréenne qui fuyaient les combats entre l’armée gouvernementale et les rebelles tigréens.
Le contraste est saisissant entre la joie de ceux qui se retrouvent, le soulagement de ceux qui se nourrissent et le drame absolu qu’ils traversent. Ils portent le deuil et la séparation. Beaucoup ont perdus leurs proches, leurs parents, leurs enfants.
Le temps du réfugié est bien là, dans cette alternance imprévue de hauts et de bas, dans ce contraste des expériences.
La rivière Tekézé le symbolise. D’un côté l’Ethiopie, l’angoisse et la fuite, de l’autre le Soudan, la paix et l’attente navrante. Cette frontière naturelle impose sa permanence. Je sais que la plupart des Tigréens ne pourront plus revenir chez eux.
Durant ce moment de flottement pourtant, ils croient que l’exil est temporaire. Ils n’ont pas pris conscience de leur nouvel état: « réfugié ». Johanes, comme les autres. Ils ont déjà mis le pied dans un imbroglio administratif: s’inscrire sur une liste, être comptabilisé, poser ses maigres biens, recevoir une couverture pour les nuits glaciales, faire la queue pour l’eau potable, pour la nourriture. Monter dans un bus pour un camp en construction dans le désert. La pesanteur se fait sentir. Je les ai accompagnés dans ces prémices d’installation à des centaines de kilomètres de la frontière. Au camp de Oum Rakuba, éloigné physiquement de leur mère-patrie, les Tigréens prennent lentement conscience du caractère irrémédiable de leur départ. Je rencontre un Ethiopien qui a fui le précédent conflit, 35 ans plus tôt. On ne sort pas aisément de sa condition de réfugiés ou de déplacés. Ils sont 80 millions dans le monde.
« Tu crois qu’on va rentrer bientôt chez nous? » Je ne peux pas mentir à Johanes.
Habrehaley , 21 ans, vient de May Kadra, en Éthiopie. Un «massacre» s’est produit dans ce village, d’après Amnesty International. Habrehaley a été frappé et laissé presque mort par des milices liées au gouvernement fédéral. Il pense avoir été pris pour cible en raison de son appartenance ethnique au Tigré.
Camp de réfugiés de Hamdayet, Soudan.
Distribution d'eau.
Ces Éthiopiens ont marché des kilomètres pour échapper aux combats dans leur pays et arriver ici.
La rivière Tékésé sépare l’Éthiopie du Soudan. Les Tigréens ont marché pendant des jours pour arriver ici. Ils ont fui les combats entre les rebelles tigréens et le gouvernement fédéral.
La rivière Tekeze, côté soudanais. Ces mamans laissent derrière elles l’Éthiopie en guerre (qu’on peut apercevoir en arrière-plan). La plupart des réfugiés du Tigré empruntent ce passage surveillé par l’armée pour entrer au Soudan, vers le camp de Hamdayet.
La rivière Tékésé sépare l'Ethiopie du Soudan. Les Tigréens ont marché pendant des jours pour arriver ici. Dans un flot quotidien et continu, les bateaux déposent les nouveaux arrivants qui deviennent, ici, des réfugiés.
La rivière Tékésé sépare l'Ethiopie du Soudan. Les Tigréens ont marché pendant des jours pour arriver ici. Dans un flot quotidien et continu, les bateaux déposent les nouveaux arrivants qui deviennent, ici, des réfugiés.
La rivière Tékésé sépare l'Ethiopie du Soudan. Les Tigréens ont marché pendant des jours pour arriver ici. Dans un flot quotidien et continu, les bateaux déposent les nouveaux arrivants qui deviennent, ici, des réfugiés.
Camp de réfugiés de Hamdayet, Soudan. A l'aube, les réfugiés font la queue pour recevoir un matelas et une couverture. La journée, le baromètre peut grimper à 39 °, en revanche la nuit est glaciale.
Camp de réfugiés de Hamdayet, Soudan.
Les réfugiés font la queue pour recevoir de la nourriture.
Camp de réfugiés de Hamdayet, Soudan. A l'aube, les réfugiés font aussi la queue pour s'enregistrer.
Camp de réfugiés de Hamdayet, Soudan. La majorité des réfugiés dort dehors.
Camp de réfugiés de Hamdayet, Soudan. La queue dure jusqu'à l'après-midi pour s'enregistrer auprès du HCR.
Camp de réfugié de Hamdayet, Soudan. Centre de Santé de MSF. Danait, 22 ans, son bébé est né ici il y a six jours. Elle a fui les bombardements d’Humera pour venir se réfugier avec son mari côté Soudanais.
Camp de réfugié de Hamdayet, Soudan.
La majorité des gens dorment dehors.
Camp de réfugiés de Hamdayet, Soudan. Les nouveaux arrivants font la queue pour s’inscrire et obtenir des nattes et des couvertures. Pendant la journée, la température peut atteindre 39 degrés. La nuit, elle chute brutalement.
Camp de réfugiés de Hamdayet, Soudan. A l'aube, les réfugiés font la queue pour recevoir un matelas et une couverture. La journée, le baromètre peut grimper à 39 °, en revanche la nuit est glaciale.
Camp de réfugiés de Hamdayet, Soudan.
Distribution d'eau.
Ces Éthiopiens ont marché des kilomètres pour échapper aux combats dans leur pays et arriver ici.
Camp de réfugiés de Hamdayet, Soudan. Les bus mèneront les réfugiés de ce camp de transfert vers celui de Oum Rakuba, plus au Sud.
Camp de Humra Kuba, Soudan.
Arrivés après dix heures de voyage en bus, les réfugiés éthiopiens atteignent leur nouveau lieu de vie. Plus aménagé, il a vocation à les accueillir plus longtemps. Au petit matin, les nouveaux arrivants dorment encore.
Le camp d’Oum Rakuba, au milieu du désert, à dix heures de bus du camp d’arrivée de Hamdayet et trois jours de marche de la première grande ville, le lieu où les autorités soudanaises veulent concentrer tous les réfugiés éthiopiens.
Camp de réfugiés d'Oum Rakuba, Soudan.
Un commerçant soudanais vend de l’électricité pour charger les portables, des boissons et de la glace.
Camp de réfugiés d'Oum Rakuba, Soudan.
Des réfugiés construisent une hutte de paille. Les Nations-Unies et le gouvernement soudanais réunissent tous les réfugiés au même endroit.