Si vous partez en vacances à Kos -l’île grecque qui a vu naître Hippocrate-, vous n’échapperez pas à la traversée du bras de mer qui sépare la Grèce de la Turquie voisine. La balade en Orient vous coûtera 20 euros. Ahmad et sa femme Jihane, eux, ont payé 3000 euros pour voyager en sens inverse, avec leurs enfants. C’était le prix de leur clandestinité en 2015.
Syriens, ils vivaient avant la guerre à Yarmouk, un ancien camp de réfugiés palestiniens, devenu une vaste banlieue commerçante de Damas. Ahmad, né de parents palestiniens, tenait une boutique de chaussures et sa femme, Jihane, était traductrice. Pacifiste, Ahmad a refusé de prendre les armes. Quand le régime syrien a commencé à bombarder leur quartier, la famille a fui dans une zone calme pour attendre la fin des combats. Elle n’a jamais eu lieu. Lorsqu’Ahmad a appris qu’il était appelé pour combattre dans l’armée de Bashar al-Assad, il a choisi de partir vers un avenir meilleur en Europe.
En 2015, j'étais loin d’imaginer qu’Ahmad, Jihane et leurs enfants étaient les premiers des 600000 migrants à rejoindre clandestinement la Grèce. Leur périple de 4000 km, à travers huit frontières et neuf pays, a duré 30 jours. Mais l’exode n’est pas qu’affaire de géographie. Une fois arrivés en Suède, ils ont été pris dans les limbes de l’attente, où les souvenirs douloureux se mêlèrent aux incertitudes d’un avenir dans un pays à l’opposé du leur. Ahmad et Jihane n’en sont qu’aux prémisses d’un plus laborieux périple, celui d’une vie à reconstruire.
En 2015, environ 600000 migrants ont rejoint la Grèce depuis la Turquie. Une majorité d'entre eux ont traversé la mer en clandestin, comme sur ce zodiac. Ile de Kos, Grèce. 7 juin 2015.
En 2015, environ 600000 migrants ont rejoint la Grèce depuis la Turquie. Une majorité d'entre eux étaient syriens, comme cette famille, dont le zodiac a été secouru en mer par les gardes côtes grecs. Port de l'ile de Kos, Grèce. 26 mai 2015.
Ahmad et Jihane ont posé le pied en Europe avec leurs deux enfants et leur nièce, au premier jour de l'été. La famille syrienne était montée sur un zodiac depuis la Turquie, pour 1000€ par adulte et 500€ par enfant. Ils ont été secourus en mer par les gardes côtes grecs. Port de l'ile de Kos, Grèce. 21 juin 2015.
Après dix jours d'attente sur l'ile de Kos pour obtenir un laisser-passer d'un mois, Ahmad, Jihane et leurs enfants ont commencé leur périple.
Athènes, Grèce. 3 juillet 2015.
" Dans la Syrie d'avant, je pensais que le voyage était la pire idée du monde car c'était un pays béni."
Ahmad
Jihane et son groupe attendent une rencontre avec un passeur dans le centre d'Athènes. Grèce. 3 Juillet 2015.
"Ma vie tient dans un sac, je n'en peux plus."
Jihane
La famille syrienne passe sa première nuit dehors dans une gare routière. Ils ont atteint une zone frontalière interdite aux migrants. Ils attendent une voiture clandestine, conduite par un passeur, pour être emmené à la frontière avec la Macédoine. Thessalonique, Grèce. 5 juillet 2015.
Aidés par un militant grec, le groupe d'Ahmad et Jihane a réussi à traverser la frontière entre la Grèce et la Macédoine sans être arrêté par la police ou l'armée. Près de Gevgelia, Macédoine. 5 juillet 2015.
Jihane, épuisée par le poids de son fils, durant la marche nocturne, laisse Ahmad, un ami syrien du groupe, le porter pour s'éloigner de la zone où ils peuvent être arrêtés par la police ou l'armée macédonienne et reconduit de force en Grèce. Près de Gevgelia, Macédoine. 6 juillet 2015.
César, le fils d'Ahmad et Jihane, est resté silencieux durant toute la marche clandestine à travers la frontière entre la Grèce et la Macédoine. Près de Gevgelia, Macédoine. 6 juin 2015.
Le groupe de Syriens vient de sortir de la zone où ils risquaient d'être refoulés par les forces de sécurité macédoniennes vers la Grèce. Macédoine. Gevgelia, Macédoine. 6 juillet 2015.
Ahmad, Jihane et leurs enfants vont s'endormir sur le quai de la gare de Gevgelia, en attendant la délivrance d'un sauf-conduit de 5 jours par la police macédonienne. Macédoine. 6 juillet 2015.
Ahmad doit changer la couche de César, 18 mois, leur enfant le plus jeune. Gevgelia, Macédoine. 6 juillet 2015.
"Chaque jour, on change de lieu. Je les hais tous en
Syrie. Ils ont détruits nos souvenirs, nos rêves et le présent."
Ahmad
Ahmad et son groupe ont tenté sans succès de corrompre les policiers macédoniens pour rester dans le train qui traverse la frontière au Nord de la Macédoine. Ils ont été descendus de force et vont tenter de traverser la frontière pour entrer en Serbie àpied.
Slanishte, Macédoine. 7 juillet 2015.
La famille a réussi à entrer en Serbie et à obtenir un nouveau laisser-passer de 10 jours. Dans un hôtel de Belgrade, la capitale serbe, Ahmad prépare la suite du périple: il va négocier le paiement du passeur pour faire entrer les 19 membres de son groupe en Hongrie.
Serbie. 9 juillet 2015.
Ahmad et sa famille vont attendre une semaine pour trouver un passeur et négocier le montant de leur trajet clandestin à haut risque.
Belgrade, Serbie. 9 juillet 2015.
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La famille décide de s'employer à avoir un "look plus occidental" pour ne pas être repérée par les policiers et enfermée dans un centre de détention en Hongrie. Leur but: rejoindre la Suède.
Belgrade, Serbie. 11 juillet 2015.
Comme le tarif du passeur était trop élevé, Ahmad et Jihane ont décidé de franchir seuls la frontière, à pied. Une fois arrivée au Nord du pays, Jihane enlève son voile pour se faire discrète. Horgos. Serbie. 15 juillet 2015.
Ahmad dirige le passage de son groupe grâce à l'aide de Syriens passés avant lui. Ils communiquent en direct via leur smartphones et Ahmad utilise l'imagerie satellite pour se guider. Horgos, Serbie. 15 juillet 2015.
Le groupe évite de marcher sur les routes pour ne pas se faire repérer par les policiers et les soldats hongrois qui ont renforcé la surveillance de la frontière. Frontière entre la Serbie et la Hongrie. 15 juillet 2015.
Le groupe doit éviter de marcher sur les routes pour ne pas se faire repérer par les policiers et les soldats hongrois qui ont renforcé la surveillance de la frontière. Frontière entre la Serbie et la Hongrie. 15 juillet 2015.
Jihane vient d'attendre la banlieue de Budapest, la capitale hongroise, après avoir été conduit par des voitures de passeurs. Ils ont payé 200€ par adulte et 100€ par enfant pour faire 150 kilomètres.
Budapest, Hongrie. 16 juillet 2015.
La famille se cache dans un des rares hôtels de la ville qui accepte d'accueillir des migrants sans-papiers. Ils attendent un nouveau passeur qui doit les conduire jusqu'en Allemagne. Budapest, Hongrie. 17 juillet 2015.
Après avoir été déposés par les passeurs à Nuremberg, au sud de l'Allemagne, le groupe est monté dans des trains de banlieue pour traverser le pays et rejoindre la frontière avec le Danemark.
Allemagne. 18 juillet 2015.
Sans-papiers, le groupe ne peut réserver d'hôtel et passe la nuit dans un fast-food de la gare de Hambourg pour attendre le premier train du matin pour le Danemark. Allemagne. 19 juillet 2015.
Après avoir été volés de tous leurs sacs par des passeurs en Hongrie, Jihane et les enfants n'ont plus que les vêtements qu'ils portent sur eux. Nord de l'Allemagne. 18 juillet 2015.
Un mois après avoir posé le pied en Grèce, Ahmad et sa famille arrivent à Bromôlla, en Suède. 19 juillet 2015.
" Les gens nous demandent si nous recherchons la liberté mais non, nous
recherchons la vie."
Jihane
Sidra, la nièce d'Ahmad et Jihane annonce à sa mère restée en Syrie qu'elle vient d'arriver en Suède. Bromölla, Suède.19 juillet 2015.
Ahmad a rejoint sa sœur exilée en Suède avec sa famille. Ils ne s'étaient pas vus depuis deux ans. Bromölla, Suède. 19 juillet 2015.
Ahmad, Jihane, leurs deux enfants et leur nièce vont entamer le long processus d'intégration. Ahmad estime que le plus dur est fait: "je suis fier d'avoir réussi à mettre mes enfants en sécurité". Bromölla, Suède. 20 juillet 2015.
Après s'être signalée aux autorités suédoises, la famille a été conduite dans un centre hébergement d'urgence, au centre du pays. Viebäck, Suède. 25 novembre 2015.
La famille entame une attente indéterminée dans cet ancien lycée converti en centre hébergement de 350 places. Il ne désemplit pas malgré le "turn-over". Le couple est inquiet pour l'avenir car Jihane est enceinte d'un troisième enfant, "accident de parcours", dit-elle. Viebäck, Suède. 27 novembre 2015.
La famille va passer huit mois dans le centre à tuer le temps, sans certitude d'avoir l'autorisation de rester dans le pays. Autour d'Ahmad, vit une majorité d'amis syriens mais ils partagent aussi le centre avec des Irakiens, des Afghans ou des Erythréens. Viebäck, Suède. 26 novembre 2015.
" Yarmouk était tout pour moi, comme un poisson qui meurt quand il est sorti de l'eau. Yarmouk, c'était la vie. J'aurais beau essayer de vous le décrire, je ne lui rendrais pas justice. "
Viebäck, Suède. 7 mars 2016.
Un an et trois mois après leur arrivée, Ahmad, Jihane et leurs trois enfants sont reçus par l'Agence Suédoise pour la Migration. Ils viennent d'obtenir un statut de réfugié et le droit de séjour permanent en Suède.
Jönköping, Suède. 26 octobre 2016.
La famille est logée dans un appartement payé par l’État dans un petit village du centre du pays. Norrahammar, Suède. 6 mars 2016.
Jihane nourrit leur troisème enfant, Sally. Elle est la seule de la famille à être née sur le sol suédois. Norrahammar, Suède. 11 septembre 2016.
"Sally nous donne un nouvel espoir."
Jihane
Une fois sa situation régularisée, Ahmad commencera les cours obligatoires de suédois.
Norrahammar, Suède. 6 mars 2016.
La famille perçoit au total 795€ d'indemnités pour les dépenses quotidiennes, en attendant les cours de Suédois obligatoires, rémunérés par l’État.
Jönköping, Suède. 12 septembre 2016.
Maya, leur fille aînée de 7 ans, part à l'école primaire, voisine de leur appartement.
Norrahammar, Suède. 20 octobre 2016.
Ahmad est initié au suèdois par des bénévoles qui offrent des cours pour occuper les demandeurs d'asile qui attendent l'apprentissage public obligatoire de la langue.
Jönköping, Suède. 8 mars 2016.
"Je me sens perdu, comme dans un non-lieu. J'ai perdu mon passé, je ne sais rien de mon avenir. Nous, les réfugiés, sommes dans un état d'errance désœuvré."
Ahmad
Norrahammar, Suède. 11 mars 2016.
Jihane conduit César, son fils de 2 ans et demi, au jardin d'enfants. Il a du mal à quitter sa mère pour la journée. Norrahammar, Suède. 13 septembre 2016.
Ahmad et Jihane viennent d'apprendre qu'ils déménageront pour s'installer dans un logement définitif. Ils vont enfin pouvoir commencer les cours de Suèdois et entamer leur nouvelle vie. Norrahammar, Suède. 13 septembre 2016.