CARNET DE ROUTE D'UN IMMIGRANT CLANDESTIN

J’ai croisé le chemin de Kingsley au Cameroun, un peu par hasard. Rencontré des amis, il m’avait confié son envie d’ailleurs. Il venait de tenter l’Aventure deux ans auparavant mais avait dû rebrousser chemin faute d’argent. Après sa tentative avortée, il avait pris le temps de faire des économies, grâce aux soutien de proches. Il était désormais attendu en France depuis que son meilleur ami, Francis, avait réussi à immigrer légalement après son mariage. 

Six mois plus tard, Kingsley m’a annoncé qu’il s’apprêtait à repartir et il a accepté que nous fassions la route ensemble. 

Pour qu’il garde la maîtrise de son récit, je lui ai proposé d’écrire pour accompagner mes photographies. Il a tenu un carnet de bord durant tout son périple.
J’étais conscient de l’abîme qui nous séparait, lui et moi, le Français, blanc et possesseur d’un passeport. Au départ, notre relation était basée sur un intérêt commun: aller le plus loin possible. Puis il m’a proposé d’être présent quand un proche lui a remis de l’argent. Je suis devenu un gage de sérieux. Plus tard, il m’a demandé de conserver son pécule pour ne pas être volé lors des passages de frontières. J’ai accepté, sachant que ce geste le liait à moi d’une façon irrémédiable.

Une relation plus profonde s’est tissée entre nous au gré des épreuves que nous avons partagés sur la route migratoire. Une confiance solide s’est installée. Ce que nous avons traversé ensemble et le respect mutuel que nous éprouvons nous engagent indéfectiblement l’un envers l’autre.

Kingsley est arrivé en France en 2004. Il vit aujourd’hui en Seine-et-Marne, est propriétaire d’une maison et travaille - en CDI - pour une entreprise de maintenance de climatisations. Il a été témoin à mon mariage. Kingsley et sa femme sont parents d’une petite fille: Ruth est née en mai 2025.

Avril - Novembre 2004